Pour un viticulteur, édifier des locaux pour son activité agricole, c’est souvent se confronter à un double paradoxe : construire dans le village, au risque de se voir reprocher par les néo-ruraux-résidents de générer des nuisances, ou construire en pleine campagne quitte à être accusé de porter atteinte au paysage.
Comment s’y prendre en tant que partie prenante de la forme urbaine d’un village ? Comment inscrire ses locaux dans le paysage ? Deux exemples réussis qui ont fait l’objet d’un “Itinéraire dans l’Hérault” organisé par le CAUE 34.
Mardi 16 mai 2017, 13 h 40 – « Nous prenons la petite route de Fontanès, un village scindé en deux, non loin de Valflaunès. Deux communes à forte connotation viticole avec lesquelles nous travaillons pour les aider à gérer leur urbanisation » explique, micro du bus à la main, Sylvaine Glaizol, architecte-urbaniste au CAUE 34, tandis que la vingtaine d’élus et professionnels s’achemine vers Vacquières.
14 h 00 – Jean-Benoît Cavalier, propriétaire du domaine du Château de Lascaux, accueille ses visiteurs et les guide dans les différents bâtiments viticoles.
Son histoire commence en 1984. Le vigneron reprend l’exploitation familiale, juste avant que les vins de la région ne s’organisent en deux familles : les AOC (appellation d’origine contrôlée) et les vins de pays.
La commune prend l’appellation « Coteaux du Languedoc ».
Jean-Benoît créé une bouteille, une étiquette… Le domaine se développe.
En 2005, il décide de passer à l’Agriculture biologique. « J’ai été traumatisé par la crise de la vache folle. Chacun avait l’impression de bien faire, seulement on en est arrivé à faire des choses absurdes… Il fallait que ça change. »
En parallèle, ses bâtiments situés dans le village deviennent trop étroits. Que faire ? Rester ou partir ? « C’était la plus difficile des décisions à prendre » confie-t-il. Et finalement… « Quatorze générations nous avaient précédés. Nous avons fait le choix de nous inscrire dans cette histoire et de rester dans ces lieux que nos prédécesseurs ont habité, fait évoluer. Ça nous allait bien affectivement et commercialement. »
Mais à défaut de pouvoir pousser les murs, encore fallait-il réaménager le …
Lascaux, pas la grotte… Le château !
Jean-Benoît Cavalier fait appel à Pierre Cossonnet, un architecte dont il apprécie le travail. « Moi les caves, j’en ai jamais fait ! Mais pourquoi pas… » lui répond-il et l’aventure commence. Quelques années plus tard, Pierre tombe gravement malade.
Son gendre, Remco Bakkes, architecte au Pays-Bas à l’époque, reprend la suite du chantier. « Nous avons beaucoup travaillé sur comment gérer un bâtiment d’une autre époque, situé dans un environnement historique » explique-t-il. Le site oblige à une certaine compacité. la cave se développe sur deux niveaux.
L’architecte et le vigneron choisissent des matériaux plus contemporains qui fonctionnent avec l’ancien : du béton brut combiné avec des pierres par exemple. Ils ouvrent la salle de réception et dégustation sur une grande terrasse, et au-delà sur le paysage, végétalisent la toiture-terrasse, aménagent réception, bureaux, construisent la cave abritant des cuves en béton, inox et en bois. Les travaux s’achèvent en 2013.
Aujourd’hui, le vignoble du Château de Lascaux s’étend sur près de 85 hectares de vignes entourés par 300 hectares de garrigue. En 1984, il n’était que d’une vingtaine d’hectares « et je l’ai vu s’urbaniser » témoigne Jean-Benoît. « Maintenant, la difficulté pour les viticulteurs, c’est d’accéder à du foncier. L’urbanisation nous met à l’écart. Or, positionner les activités agricoles dans le centre ou en bordure, ça donne du sens aux relations entre les citoyens. On se croise en semaine… et tout le monde profite des paysages le week-end en se promenant. »
La visite s’achève dans le caveau de dégustation, demeuré dans le bâti ancien, autrefois la pièce principale d’un prieuré où vivaient des moines entre le XIe et XIIIe siècle…
Un bâtiment mi-Bauhaus, mi-raisin
Vers 17 h, le groupe arrive à Nizas. Basile Saint Germain, propriétaire du domaine Les Aurelles, stoppe tout net le bus à l’entrée de la cave, située en limite de village. Il invite le groupe à faire escale à quelques kilomètres, là où chacun peut apprécier son bâtiment… de loin.
« Comme vous le voyez, les maisonnettes sont plus hautes que mon bâtiment viticole », ironise-t-il. Une façon de démontrer à ses visiteurs que si sa cave ne dénature pas le paysage et s’y intègre, ce n’est pas le cas des constructions récentes…
Rapidement, le groupe reprend la route et descend à l’entrée de la cave.
« J’ai appris mon métier à Château Latour. Pour moi, un outil de production doit être simple. Chaque raisin est coupé au milieu, on regarde à l’intérieur. Je voulais donc une conception pratique, sans complexité et de plain-pied. Et comme j’ai une double culture franco-allemande, je pense que le Bauhaus, ça fonctionne bien. »
En 2001, le vigneron confie son projet à l’architecte Eric Castaldi puis à Gilles Perraudin, architectes. Ils choisissent la pierre comme matériau, peu coûteuse à l’époque : des blocs de 3 tonnes, de 1m35 à 1m40 de largeur, avec une épaisseur d’environ 65 cm.
Tout le bâtiment est construit sur des principes de géo-écologie et les vins sont garantis sans pesticides, certifiés par le laboratoire Excell.
« Ma culture de Bordelais m’a fait voir par avance certaines choses… Il faut bien concevoir d’emblée pour garantir la plus grande neutralité. On avait l’idée d’installer des panneaux solaires, mais ce n’était pas au point. On a en revanche installé un puits canadien qui descend à plus de 3 mètres de profondeur…/… Ce bâtiment, c’est un lego. Il est évolutif. Et il va durer dans le temps »… Une bonne nouvelle !
Car de la même façon qu’« il suffit d’un raisin de qualité pour faire un grand vin » comme le dit si bien Basile Saint Germain, il suffit d’une architecture bien anticipée pour édifier les bâtiments durables de demain.