Expulsées de leurs gîtes, tuées par les produits chimiques, déboussolées par les modifications de paysages… En 10 ans, la population de chauves-souris a diminué de 38 % en France. Les professionnels de la construction et du cadre de vie ont un rôle majeur à jouer pour les préserver. Rencontre avec Blandine CARRÉ, experte chiroptérologue.
“Il y a 8 ans, j’ai rejoint le Groupe Chiroptères Languedoc-Roussillon (GCLR) et je suis aujourd’hui animatrice du Plan Régional d’Actions pour les Chiroptères en Occitanie” explique Blandine CARRÉ. Autant dire que cette spécialiste connaît ces petits mammifères volants sur le bout des doigts ! Et l’une de ses plus grandes préoccupations est de les préserver de l’action humaine. Car, comme bien d’autres espèces, elles sont aujourd’hui menacées : “Les populations de chauves-souris en France se sont vraiment effondrées en quelques décennies. Selon une étude menée par le Muséum national d’histoire naturelle, on constate une chute de 38 % en 10 ans“.
Les causes de cette mortalité sont multiples ! Premièrement, la perte des gîtes de chauves-souris ou leur modification… “Notamment, pour celles qui s’abritent dans nos constructions : la rénovation des anciens bâtiments sans prendre en compte les chauves-souris, le colmatage des ponts lors de l’entretien, ou la coupe des arbres… peuvent priver les chauves-souris de leur abri ou pire, les tuer” déplore Blandine. Le trafic routier ou les éoliennes tuent également beaucoup de chauves-souris.
Ensuite, “elles sont assez peu tolérantes au dérangement… Quand il y a une forte fréquentation humaine sur des sites qu’elles occupent, dans les grottes notamment, elles peuvent déserter les sites” précise-t-elle. De la même façon, la modification du paysage et sa fragmentation ont un fort impact… “Cela peut faire perdre des zones de chasse et couper des routes de vol.” L’urbanisation, l’agriculture intensive ou encore le développement routier en sont les principaux coupables.
Enfin, les contaminations chimiques dues aux pesticides et aux traitements de charpente sont source de toxicité et de mortalité.
La loi les protège, un plan national d’actions leur est dédié
En France, selon l’arrêté ministériel du 23 avril 2007 relatif à la protection des mammifères (article L.411-1 du Code de l’Environnement), toutes les espèces de chauves-souris et leurs habitats sont protégés : “… sont interdites la destruction, l’altération ou la dégradation des sites de reproduction et aires de repos des espèces protégées aussi longtemps qu’ils sont effectivement utilisés ou utilisables…“
Il existe aussi une Directive européenne Habitat-faune-flore de 1992 – annexe II et IV – qui protège les espèces de chauves-souris. Dans ce cadre, “quand on trouve certaines espèces sur un site, on peut le désigner comme site Natura 2000 !” signale Blandine.
En complément du dispositif législatif et réglementaire relatif aux espèces protégées, le Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Energie (MEEDDE) a créé le Plan National d’Actions Chiroptères 2018-2027.
Il comporte dix actions avec pour objectifs d’améliorer la connaissance, de prendre en compte les chauves-souris dans les aménagements et les politiques publiques, de soutenir le réseau d’acteurs qui travaillent à leur protection et d’informer.
Ce plan national a été décliné en Occitanie. Il est copiloté par la DREAL Occitanie, le Conservatoire d’espaces naturels d’Occitanie (pour l’ex-région Midi-Pyrénées), et par le Groupe Chiroptères Languedoc-Roussillon (pour l’ex-région Languedoc-Roussillon) dont Blandine CARRÉ est salariée.
Comment les professionnels du cadre de vie peuvent-ils contribuer à la protection des chauves-souris ?
Sur les dix actions du plan national, trois concernent tout spécialement les acteurs du cadre de vie avec lesquels travaillent au quotidien les professionnels du CAUE :
• Intégrer les chiroptères dans l’aménagement du territoire et rétablir les corridors écologiques
Ripisylves, haies qui bordent les parcelles, alignements d’arbres… sont autant de corridors écologiques pour les chauves-souris. “Ce sont des éléments structurants du paysage qui leur permettent plus facilement de se déplacer tout en étant à l’abri des prédateurs et aussi de chasser, car ce sont des milieux riches en insectes” explique Blandine. Par conséquent, toute action modifiant le paysage n’est jamais anodine pour la biodiversité, “On parle de continuité paysagère ou trame verte et bleue. Il est par ailleurs très important de conserver une « trame noire », la pollution lumineuse impactant négativement les chauves-souris.“
Dans le cadre de l’aménagement du territoire, il est donc nécessaire de connaître avec précision les “secteurs à enjeux” – là où sont situés les gîtes et les zones de passages de chauves-souris – pour pouvoir agir efficacement.
Ces informations peuvent être demandées auprès de la DREAL dans le cadre du dispositif SINP ou directement auprès des associations comme le GCLR. À noter que les données de localisation de gîtes sont des données sensibles, qui ne sont pas rendues publiques. Elles peuvent être communiquées de manière ciblée, notamment aux aménageurs dans le cadre d’études d’impact, aux collectivités dans le cadre d’élaboration de PLU, aux gestionnaires d’espaces naturels, etc.
• Protéger les gîtes
En journée, les chiroptères peuvent bien sûr se réfugier dans des grottes, mais pas seulement ! On les trouve aussi dans les ponts, les arbres, les greniers, derrière les volets qui restent ouverts, les caves et aussi les nichoirs spécifiquement conçus pour eux. Chaque espèce a ses petites exigences spécifiques.
Les accès dans un bâtiment sont multiples. “Les petites espèces, telles que les pipistrelles, se frayent un chemin dès lors qu’il y a au moins 2 cm d’interstice. Donc, elles passent sous les tuiles, les chatières d’aérations“. Pour les plus grosses, elles passeront par des petites fenêtres, ou des lucarnes.
Avant de réhabiliter un bâtiment, il est toujours bon de vérifier qu’on ne risque pas de déranger une colonie de chauves-souris !
>> Les indices de leur présence : le guano (excréments), traces d’urine, restes de repas (ailes de papillons par exemple)…
Une fois la présence de chauve-souris détectée, le GCLR peut accompagner les propriétaires pour les aider dans leur projet, sans que cela ne nuise à la colonie.
> Quelques exemples de projets accompagnés par le GCLR :
(Cliquez pour agrandir les visuels)
• Soutenir les réseaux, promouvoir les échanges et sensibiliser
Les acteurs du cadre de vie – professionnels de la construction, de l’urbanisme ou du paysage, élus d’une collectivité, particuliers qui réhabilitent un logement… – ont tous un rôle majeur à jouer pour préserver au maximum les différents gîtes de chiroptères. Et ce n’est pas toujours facile ! Car cela peut impliquer des contraintes réelles… D’où l’importance du travail des spécialistes des chauves-souris pour sensibiliser encore et encore.
Le GCLR réalise différentes missions. Tout d’abord, ses membres étudient les chauves-souris, notamment dans les sites Natura 2000, des réserves naturelles, etc. “Pour mieux connaître les cortèges d’espèces, nous réalisons des inventaires et des suivis de colonies de chauves-souris” explique Blandine. “Nous intervenons aussi dans le cadre du réseau “SOS chiroptère” où des particuliers peuvent nous appeler pour résoudre les problèmes de cohabitation“. Enfin, l’association propose des animations grand public et des formations pour des publics ciblés.
Dans l’Hérault, le Conseil départemental a distribué gratuitement de nombreux nichoirs aux agriculteurs pour les sensibiliser sur cet animal souvent méconnu, et les inciter à se passer d’insecticides : “En une nuit, une seule chauve-souris est capable de manger près d’un tiers de son poids en insectes, dont certains sont nuisibles aux cultures“. Par exemple, la pipistrelle mange l’eudémis, un papillon qui ravage la vigne.
Dans le cadre de l’animation du site Natura 2000 « Pic-Saint-Loup », la Communauté de Communes Grand-Pic-Saint-Loup a organisé en 2016, avec l’aide du GCLR, un inventaire des chauves-souris sur les communes du périmètre. En novembre 2019, la collectivité s’est d’ailleurs vu décerner le trophée “Territoire Engagé pour la Nature” qui récompense son engagement en faveur de la biodiversité.
Quant au CAUE 34, Blandine CARRÉ entend bien tisser des liens de complicité, voire un partenariat, pour l’aider dans sa mission ! Actuellement, le GCLR collabore déjà avec le CAUE 34 dans le groupe de travail consulté par la mairie de Saint-Pons-de-Thomières pour le réaménagement de la grotte de la source du Jaur.
>> Lire l’article du blog “À Saint-Pons-de-Thomières, on puise à la source !” (21/08/2018)
La commune a pour projet de réaménager des terrasses sur site pour en faire un lieu de vie pour les habitants. Or, cette grotte est un gîte d’enjeu national pour la conservation des chauves-souris “et ce projet pourrait menacer la colonie si par exemple les éclairages à l’entrée de la grotte étaient mal dimensionnés, ou trop puissants…” avertit Blandine.
La pollution lumineuse est un véritable problème pour les chiroptères. Dans ce cadre, le GCLR a pour projet de développer des actions autour du Jour de la nuit. Une préoccupation partagée depuis longtemps par le CAUE 34 qui organisait le 1er décembre 2020, la visioconférence Paroles de géographe n°18 : “Sauver la nuit” avec Samuel CHALLÉAT, géographe et auteur du livre “Sauver la nuit”.
Enfin, dans le cadre de la rénovation, de la construction de bâtiments publics, ou de sa mission de conseil aux particuliers, là encore… le CAUE 34 pourra veiller à sensibiliser ses interlocuteurs pour que nos petites chauves-souris ne soient pas expulsées impunément, et qu’elles puissent tout naturellement coexister avec nous.
Plus d’infos ?
- Groupe Chiroptères Languedoc-Roussillon (GCLR) / Domaine de Restinclières / 34730 PRADES-LE-LEZ http://asso-gclr.fr
Documents
- Plan Régional d’Actions en faveur des Chiroptères Occitanie 2018-2027, Conservatoire d’espaces naturels MP, Groupe Chiroptères Languedoc-Roussillon (PDF)
- Dépliant “Un toit pour les chauves-souris”, Conservatoire Régional des Espaces Naturels de Midi-Pyrénées (PDF)
- Agriculture : Guide technique “Favoriser la biodiversité dans les vignes“, LPO (PDF)
- Rénovation de bâtiments : Guide pour l’aménagement des combles et clochers des églises et d’autres bâtiments (à lire en ligne) / Préservation des chiroptères et isolation thermique des bâtiments, Cerema (PDF)
- Pollution lumineuse : Éclairage sur la pollution lumineuse et ses nuisances, LPO / Cinq fiches “Aménagement, urbanisme, biodiversité, éclairage” , Cerema (téléchargement gratuit) : Intégrer la biodiversité dans la planification et la maintenance de l’éclairage ; Adapter l’éclairage aux enjeux de biodiversité du territoire ; Intégrer les enjeux de biodiversité nocturne dans la planification et les outils opérationnels ; Choisir une source d’éclairage en considérant l’impact de son spectre lumineux sur la biodiversité ; Comprendre l’arrêté ministériel du 27 décembre 2018 relatif aux nuisances lumineuses.
- Dépliant “Un abri pour les chauves-souris”, Conseil départemental de l’Hérault (PDF)
- Emission pédagogique “C’est pas sorcier – CHAUVE-SOURIS : le monde à l’envers !” (2003) – Scénario : V. Perez